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Rupture d'une relation commerciale établie

Le 28 mars 2016
Rupture d'une relation commerciale établie
Précisions par la jurisprudence

Les contours légaux de la "rupture brutale d'une relation commerciale établie"

de nouveau précisés par la jurisprudence

 


Si tout le monde peut se prévaloir de la liberté du commerce et de l'industrie, cette liberté n’en reste pas moins soumise aux exigences de l'ordre public économique. A ce titre, d'aucun ne saurait abuser d'une quelconque puissance économique. C'est dans ce but notamment que l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce a vu le jour, le droit commun des obligations étant insuffisant en la matière.

Par cet article, issu de la loi Galland du 1er juillet 1996, et modifié successivement par la loi NRE du 15 mai 2001, et les lois du 3 janvier 2003 et 2 août 2005, le législateur a érigé au rang de délit civil, la rupture brutale d'une relation commerciale établie. En effet, ce texte législatif édicte une obligation de loyauté dans la rupture de relations commerciales durables et stables.

 

I. Le dispositif de l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce

Selon cet article, "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou toute personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. […]

A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure".

A la lecture de cet article, il ne fait aucun doute que la notion de "relations commerciales" recouvre tous les types de relations entre deux professionnels, tant à l'achat et la vente de produits qu'à la réalisation de prestations de services. Il importe juste que l'auteur de la rupture soit un commerçant, un industriel ou un artisan. La victime, quant à elle, voit son statut juridique être parfaitement indifférent : il peut s'agir à loisir d'un commerçant, d'une association…

Cette notion vise également les relations contractuelles à durée déterminée et celles à durée indéterminée. Et la jurisprudence a tenu compte des relations précontractuelles comme des relations extracontractuelles (Cass. com. 5 mai 2009).

Ce qui importe, à tout le moins, c'est que les relations commerciales en question soient "établies". C'est ce caractère qui est au cœur de la plupart des litiges. Dépendant de la durée des relations, de leur stabilité ainsi que de leur intensité, ce caractère est dur à appréhender.

S'agissant la durée, il n'existe pas de durée minimale. Et quant à son point de départ, il correspond à l'origine même de la relation commerciale. La jurisprudence a précisé, à cet égard, qu'il y a lieu de tenir compte des relations contractuelles antérieures à la relation rompue pour apprécier le caractère établi de cette dernière. Il est aujourd'hui acquis que l'intégralité de la relation, en cas de reprise ou de prolongement d'un contrat, doit être pris en compte.

En ce qui concerne, cette fois, l'intention des parties, ce qui compte c'est que la relation commerciale visée ait eu vocation à perdurer. Ainsi, il a parfois été jugé que faute de clause de tacite reconduction, la probabilité d'un renouvellement était trop faible pour que l'on puisse y voir une relation "stable".

Enfin, pour qu'une relation commerciale puisse être considérée comme "établie", il est nécessaire que les relations soient suivies et régulières. Cette intensité peut, notamment, prendre la forme d'une progression continue du chiffre d'affaires. De même, des contrats à durée déterminée successifs peuvent aisément caractériser une relation commerciale établie.

En présence d'une relation commerciale établie telle que précédemment prédéfinie, le Code de commerce vient en sanctionner la rupture brutale, qu'elle soit totale ou partielle. Une rupture totale peut être aisément caractérisée : elle se traduit notamment par la cessation pure et simple des commandes. La rupture partielle est, quant à elle, plus difficile à déterminer : il a été admis qu'une diminution effective des commandes et/ou du chiffre d'affaires pouvait la caractériser (Cass. com. 23 janvier 2007). Il en va de même du déréférencement de certains produits.

Mais ce n'est pas tant l'étendue de la rupture que sa brutalité qui fait débat. En effet, cette brutalité peut découler de l'insuffisance du préavis ou, plus simplement, de son absence. A savoir que n'est pas seulement concerné le préavis de rupture d'activité : la modification substantielle de conditions tarifaires peut également constituer un préavis, s'il n'y a pas de poursuite d'activités en dépit de sa transmission par télécopie. Cela vaut également pour l'instauration d'une procédure d'appel d'offres.

Pour échapper à toute sanction, le préavis doit être, au moins, suffisant. Autrement dit, la durée de ce préavis doit tenir compte de l'ancienneté de la relation commerciale, de la nature des produits et services concernés, des investissements réalisés et/ou de l'importance que représente le partenaire économique, auteur de la rupture, dans le chiffre d'affaires de l'autre partenaire, la victime.

Cette durée ne peut donc être arrêtée avec précision. Fonction de plusieurs critères, elle est laissée à l'appréciation souveraine des juges. Ainsi, les juges ont estimé que, pour une durée de 6 années, un préavis de 6 mois était suffisant (CA Paris 30 mai 2013) ; ou que, pour une durée de 16 années, un préavis de 15 mois convenait parfaitement (CA Paris 28 mai 2013).

Pour autant, le respect du préavis contractuel ne peut suffire. L'existence d'un tel délai ne dispense, en effet, aucunement les juges d'examiner s'il tient compte de la durée de la relation commerciale et d'autres circonstances lors de la notification de la rupture (Cass. com. 22 octobre 2013).

En revanche, en présence d'une clause de non renouvellement, la cessation du contrat par l'arrivée du terme ne peut, a priori, s'apparenter à une rupture brutale (Cass. com. 20 novembre 2012). Ainsi, il est vivement conseillé aux commerçants, industriels et autres artisans de se prémunir de pareilles clauses dans leurs contrats afin de limiter, faute d'empêcher, toute sanction pour rupture brutale.

Enfin, il convient de noter que la motivation de la rupture est parfaitement indifférente quant à l'appréciation du caractère brutal de cette dernière.

Ainsi, l'agent qui vient à manquer à son obligation de loyauté lorsqu'il rompt avec son partenaire économique, peu importe le motif de la rupture, commet une faute engageant sa responsabilité délictuelle et l'obligeant, de ce fait, à réparer le préjudice subi par son partenaire. L'indemnisation viendra réparer bon nombre de préjudices tels que la perte de marge brute…

Cependant, en l'absence d'anticipation du risque lié à une dépendance économique non imposée, la jurisprudence estime que la victime a dès lors accepté le risque inhérent à cette situation et ne peut ainsi prétendre, en cas de rupture brutale, qu'à une indemnisation réduire. Il en va de même en cas d'avertissement formulé par l'auteur de la rupture à la victime quant à son imminence.

Enfin, l'auteur de la rupture brutale peut être exonéré de sa responsabilité en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, ou d'un cas de force majeure. Les juges français sont néanmoins très exigeants lorsque l'une de ces deux exceptions est invoquée comme moyen de défense. Ils ont ainsi considéré que l'inexécution devait revêtir un degré de gravité suffisant, soit caractériser un manquement grave par la victime de ses obligations (Cass. com. 18 janvier 2011).

 

II. Des précisions jurisprudentielles

Seulement, la jurisprudence a tenu à préciser, à travers de récentes décisions, la notion de "relation commerciale établie", notion en fonction de laquelle un délai de préavis suffisant doit être prévu.

En effet, la rupture d'une relation "établie" suppose a minima qu'un préavis suffisant soit respecté. Dans le cas contraire, elle pourrait être qualifiée de brutale et son auteur sanctionné. C'est pourquoi, le législateur a notamment souhaité préciser que la durée de ce préavis doit tenir compte la durée de la relation.

Cependant, bon nombre de ces relations ne sont pas d'un seul tenant, étant davantage des successions de contrats, ce qui peut en rendre l'appréhension difficile. Ceci étant, plusieurs de ces cas d'école ont été soumis, récemment, à la Cour de cassation. Et chacun de ses arrêts s'est avéré être riche d'enseignements.

Dans un premier arrêt du 23 juin 2015, la Cour déclare que des contrats à durée déterminé, renouvelés plusieurs fois sur une longue période, peuvent constituer une relation commerciale établie.

Reléguant ainsi au second plan le fait qu'il s'agisse de contrats à durée déterminée, la Cour a estimé que leur reconduction sur une période de six ans consécutifs, aux mêmes conditions et assurant une hausse du chiffre d'affaires, permet à tout le moins de caractériser l'existence d'une relation commerciale suivie et régulière.

De fait, elle a confirmé la position des juges du fond. Ils estimaient, en effet, que le cocontractant, en tant qu'il pouvait s'attendre à signer un nouveau contrat à l'échéance du précédent ce, en dépit de l'exclusion expresse de tacite reconduction, doit pouvoir invoquer le caractère brutal de la rupture dont il a été victime.

Au terme d'un autre arrêt du 15 septembre 2015, la Cour a, cette fois, jugé qu'en cas de cession d'un fonds de commerce, le préavis dont bénéficie le cessionnaire ne doit pas tenir compte de la relation nouée auparavant avec le cédant dudit fonds.

Bien que la cession transfère au bénéfice du cessionnaire la propriété des éléments du fonds cédé, la Cour considère en effet qu'il en va autrement des dettes et créances du cédant, sauf clause contraire expresse. Or, aucune clause de ce type n'existait ici.

Ainsi, dans l'hypothèse d'une cession, la Cour subordonne la qualification de "relation commerciale établie", à la preuve de l'acceptation par le cédant de ce que le cessionnaire s'inscrive dans la continuité de la précédente relation. Autrement, la relation commerciale ne sera pas qualifiée d'établie au sens de l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce.

Il n'est pas rare, en outre, que des relations commerciales soient étroitement liées, et mettent en cause plusieurs personnes, morales et/ou physiques. Dès lors, il peut être difficile de qualifier une rupture de brutale. Seulement, cela n'a pas arrêté la Cour de cassation qui, il y a quelques mois, a fait preuve d'originalité en la matière.

Dans un arrêt du 6 octobre 2015, elle a, en effet, refusé qu'un préavis soit jugé insuffisant eu égard à l'appartenance à un même groupe de deux sociétés venant de rompre leurs relations avec un même partenaire en se fondant sur des motifs similaires et à quelques mois d'intervalle.

Elle y énonce que, bien qu'appartenant au même groupe et ayant la même activité, ces deux sociétés n'en sont pas moins autonomes. Cela justifie, selon elle, que leur préavis soit apprécié individuellement, sans égard pour le volume d'activité global.

Toutefois, la Cour se réserve la possibilité, en présence d'un groupe engageant des rapports de contrôle et d'influence, de revenir sur son raisonnement, notamment si les sociétés en cause agissent de concert.

Pour autant, la décision de la Cour d'appel pouvait sembler plus juste. Elle estimait en effet que le partenaire victime de la rupture aurait dû bénéficier d'un préavis plus important auprès de chacune des sociétés puisque les relations commerciales avaient été nouées de façon concomitante, que leur fin était intervenue dans des conditions similaires et enfin, que leurs conséquences étaient amplifiées de part leur cumul.

Il y a fort à parier, toutefois, qu'il ne s'agit pas là du dernier arrêt sur le sujet. En effet, qu'il soit question de casser la décision d'une Cour d'appel réfractaire, ou plus simplement d'assoir sa dernière position, un nouvel arrêt de la Cour de cassation, au visa de l'article L.442-6 I 5° du Code de commerce ne saurait tarder.

Jessica FARGEON - Vincent RIOU - 28 mars 2016

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